Objectifs.  Ce  projet Exploration intitulé L'esclavage des enfants autochtones à Montréal (1670-1760) s’inscrit dans un plus vaste et ambitieux projet qui analysera l’agentivité et le savoir-faire en matières judiciaires des femmes libres et esclaves, autochtones et allochtones de toute l’Amérique française aux 17^e et 18^e  siècles.

Contexte. En entreprenant mes recherches Développement Savoir sur les femmes (et leurs hommes) qui ont fait l’histoire de Montréal au 17^e siècle, je ne me doutais pas que je ne cesserais de tomber dans les archives judiciaires, notariales et paroissiales, sur un des aspects les plus sombres de notre histoire: l’esclavage des enfants autochtones. Résonnant tragiquement aujourd’hui, la servilité infantile et ethnique donne un tout autre aspect aux rapports de pouvoir que la perspective intersectionnelle de ma présente recherche fait voir à l’œuvre à Montréal mais aussi dans toute la Nouvelle-France. En effet, mes coups de sonde dans les archives révèlent non seulement l’ampleur et la pérennité du phénomène de l’esclavage infantile autochtone (16^e-19^e siècles!) mais aussi l’implication des femmes dans la « gestion » du personnel servile visible dans les recours en justice qu’elles font pour faire valoir leurs droits sur le travail infantile.

De fait, révéler l’esclavage infantile nuance grandement les mythes entourant l’esclavage considéré « plus doux » que celui des plantations (Trudel). L’étudier remet en question toute l’histoire du développement socio-économique de la Nouvelle-France mais aussi celle des rôle des femmes dans la société coloniale. Or en exposant ces résultats préliminaires, je me suis heurtée encore récemment et plutôt violemment, à ceux et celles qui, d’une part, considèrent l’esclavage en Nouvelle France comme un phénomène dérisoire, absolument non significatif pour le développement socio-économique de la colonie (Pentland, Mathieu) et d’autre part, jugent que les femmes n’ont pas de pouvoirs, car les travaux dont ils découlent sont considérés comme relevant de la nature féminine, immuable, anhistorique. Répétitifs, non rémunérés, ils sont jugés anachroniquement selon les critères de rentabilité financière et de force physique d’aujourd’hui. Il est donc urgent que je puisse revoir entièrement le contexte (revue de la littérature, approches théorique et méthodologique) de ma demande de subvention Savoir, afin de la bonifier par 1) des statistiques solides déterminant le poids de l’esclavage dans la vie des femmes et des hommes qui ont fait Montréal, 2) une revue historiographique de l’esclavage, élargie à celle du travail des enfants et 3) une analyse qualitative novatrice des archives appuyées sur les humanités numériques (reconnaissance automatique des écritures HTR, balisage XML-TEI, recherche massive Big Data).

Problématique et état des connaissances. En 1535, Jacques Cartier prit et embarqua « une fille de 1'aage d'environ huict a neuf ans et refusa ung petit garçon de deux ou trois ans pource qu'il estoit trop petit ». En 1632, Olivier Le Jeune, emmené tout jeune d’Afrique par l’un des frères Kirke fut vendu au commis Le Baillif pour 50 Ecus, lequel le donna à Guillaume Couillard. Le 22 octobre 1713, l’esclave de Toussaint Truteau, Marie Madeleine fut baptisée à l’âge de 5 ans tandis que, trois ans plus tard, lors d’un « arrivage » à Montréal, eut lieu le 13 avril une série de baptêmes d’enfants esclaves âgés entre 11 et 15 ans dont trois appartenaient à Etienne Campeau, et les autres à Louis Ducharme, à Antoine Magnan, à Pierre Billeron, au Sr Déprez, au procureur du roi Raimbault.  Le 7 avril 1821, mourut à l’Hôpital général de Montréal, Marie Marguerite âgée de 76 ans, au terme d’une longue vie d’esclave passée dans la colonie, depuis les années 1750. [Bideaux, p.147; DBC; PRDH Baptêmes #44605 à 44611; PRDH Sépulture #2887576]. Ces traces de vies d’enfants esclaves, glanées dans les relations et les archives paroissiales, révèlent un phénomène de société qui a, jusqu’à présent, complètement échappé aux historiens de la Nouvelle France, même aux plus avertis des historiens de l’esclavage (Trudel, Rushforth, Mackey).

Cet angle mort est créé par les préjugés de la recherche qu’il s’agira de défaire avec des statistiques et un argumentaire solides. D’abord, l’existence même de l’esclavage demeure encore difficile à faire admettre (Pluchon; Boulle; Peabody), tant l’idée prévaut que le royaume de France a très tôt rejeté de son sol l’institution servile en l’admettant toutefois dans ses colonies. En ce qui concerne la Nouvelle-France, ce qui a toujours freiné l’étude de l’esclavage, considérée comme une impasse de la recherche, c’est le petit nombre d’esclaves (« juste » 4200 esclaves recensés par Trudel pour 1671-1834) en comparaison des milliers d’asservis dans les plantations). Pourtant, tandis qu’en 1762, Poncet de La Grave, le procureur du roi à l’amirauté de France écrivait : « La France, surtout la capitale, est devenue un marché public où l’on a vendu des hommes au plus offrant et dernier enchérisseur; il n’est pas de bourgeois ou d’ouvrier qui n’ait eu son nègre esclave » (Peabody, Noël), un an plus tard au moment de la conquête anglaise, l'Article 47 du traité de capitulation signé à Montréal garantissait aux colons français la propri&e

Donner le goût de l'archive à l'ère numérique: Production et partage de données historiques et archéologiques sur les peuples de Montréal au 17e siècle constitue une véritable révolution dans la manière d'effectuer la recherche historique, et partant, de comprendre notre passé. Ce projet de développement partenarial vise à pallier la fragmentation et le dédoublement récurrents de la recherche sur les Montréalais du régime français en développant un modèle viable et ouvert de coopération de  recherche, de production et de partage de données historiques et archéologiques. Découvrir et mieux connaitre le passé des collectivités autochtones et allochtones qui ont « fait » Montréal constitue le principal objectif de recherche des partenaires. Or les formidables ressources archivistiques, qui
renseignent sur l'histoire de notre pays, demeurent négligées car elles sont trop difficiles à lire et peu accessibles. Cet état de fait pose un triple problème qui touche à la fois à la périodisation, à l'intelligibilité des données et au partage de la transcription des sources. Ainsi, comme les documents d'avant 1693 ne sont pas accessibles en ligne, l'attention des chercheur-e-s, étudiant-e-s et professeur-e-s, généalogistes, grand public, se tourne naturellement vers les archives judiciaires du 18e siècle qui, non seulement sont accessibles en ligne, mais sont partiellement éditées, inventoriées et indexées. Or, passer sous silence le 17e siècle, période pourtant fondamentale pour le développement de la société canadienne entraîne une distorsion de la recherche, de l'enseignement et des connaissances. Tout aussi grave, la capacité de lire les documents anciens est en train de se perdre par manque de transmission de savoir-faire paléographique (déchiffrement des textes) et historique : non seulement le déchiffrement des documents d'archives est devenu un acte solitaire qui n'est plus enseigné, mais le partage des transcriptions reste chose peu commune. Aussi à chaque nouvelle recherche, il faut recommencer à zéro et perdre temps et argent public pour trouver et déchiffrer à nouveau les documents lus par les prédécesseur-e-s. Avec ce projet pilote, l'équipe palliera ces inconvénients récurrents qui minent l'acquisition et la transmission des connaissances sur les peuples de Montréal en se dotant de puissants dispositifs de recherche : d'une part, la formation de la relève à la gestion documentaire, fondée sur une technologie novatrice, qui permet d'assurer la numérisation, la transcription Texte-Image, le balisage XML-TEI fondant l'analyse historique de tous les documents originaux concernant les peuples de Montréal, repérés dans les archives judiciaires, notariales et paroissiales du 17e siècle; et d'autre part, le développement d'une ontologie de liaison de gros volumes de données issues des bases des partenaires, soit Bailliage de Montréal de l'UdeM-BAnQ (judiciaires), Parchemin de Archiv-histo (notariales), RPQA du PRDH (paroissiales-recensements), Archéolab.Québec de Musée Pointe-à-Callière (archéologie de Montréal), ADHEMAR (géolocalisation historique du bâti à Montréal), Calypso (archives de de l'UdeM), Répertoire des seigneuries (espace seigneurial) et Dictionnaire biographique du Canada. Pour diffuser ses résultats de recherche sur le repérage des peuples allochtones et autochtones dans les archives de Montréal au 17e siècle, le partenariat mise sur l'Atelier Permanent d'Analyse Documentaire, module gratuit en ligne, de formation continue théorique et pratique, ainsi que sur les capsules d'information et sur la production d'articles scientifiques et de conférences par les co-chercheurs et les collaborateurs. Une fois ces objectifs atteints, la recherche sur les peuples de Montréal ne sera plus jamais la même.

Depuis toujours, Montréal est un lieu privilégié d’échanges; ses peuples anciens, nouveaux et passagers s’y sont toujours mêlés, enrichis les uns les autres, dans une coexistence fertile. Fondé sur cette pragmatique ouverture d’esprit, notre Colloque-École d’été Les gens de Montréal, 16^e-18^e siècles: histoire, archéologie et muséologie à l’ère des humanités numériques et des sciences participatives, qui se tiendra du 11 au 16 juin 2023, s’avère particulièrement pertinent dans le contexte actuel de repli sur soi puisqu’il relie, par-delà les générations, les ethnies et les disciplines, le monde universitaire, les musées et le grand public. En fédérant les forces vives des mondes académique et citoyen, notre Colloque-École d’été 2023 veut mettre en valeur les gens (Autochtones, colons français et Afro-descendant.e.s) qui ont fait Montréal afin d’aller, sur le terrain, à la rencontre des citoyen.e.s actuel.le.s. Il s’agit en effet, en ce 380^e anniversaire de la fondation de la ville, de répondre aux besoins urgents en création et en gestion des données de recherche et en littératie numérique, exprimés tant par les chercheur.e.s et personnels qualifiés des musées et centres d’archives montréalais et nationaux, que par la collectivité en général. Notre initiative de mobilisation des connaissances sur les gens de Montréal, mise sur le réseautage, la diffusion, l’échange et la coproduction de savoirs fondés d’une part, sur la recherche historique, archéologique et muséologique et d’autre part, sur les outils numériques techno-sociaux. Nous voulons ainsi intéresser à la reconstitution du passé montréalais autant les jeunes chercheur.e.s, le personnel qualifié des musées, des centres d’archives et des bibliothèques, que les chercheur.e.s issu.e.s. des mondes académique et citoyen. C’est pourquoi notre Colloque-École d’été 2023 invitera ses participant.e.s à aller de la trace historique et archéologique découverte dans les archives jusqu’à la médiation culturelle. Nos ateliers, visites et conférences leur permettront de faire le parcours complet de la reconstitution historique en décloisonnant l’histoire, l’archéologie et la muséologie tout en les sensibilisant aux défis de la science participative, d’une part et d’autre part, aux enjeux de la création, gestion, pérennité et interopérabilité des données et métadonnées de recherche. De la sorte, les fécondes expériences en recherche et innovation du Colloque-École d’été 2023 enrichiront l’écosystème de recherche, d’innovation et de création en matière de patrimoine collectif et d’humanités numériques.

"Femmes et pouvoirs dans le bailliage de Montréal (1644-1693)" vise à renouveler la recherche historique sur les femmes par l'étude des dynamiques de pouvoir dans les archives judiciaires montréalaises. Il s’agira d’étudier les motivations, pouvoirs et actions judiciaires des femmes de Montréal d'autrefois - et donc de tous les hommes qui leur sont alliés ou opposés - dans les structures sociales, ethniques, politiques, émotionnelles/ religieuses et économiques du régime français. C'est qu'en retraçant l'agentivité [ou capacité d'un individu à agir sur son propre destin] des femmes dans les archives judiciaires de Montréal, j'ai découvert avec surprise qu’entre 1693 et 1760, les femmes de tout état, de toute condition et de toute ethnie interviennent en très grand nombre (dans 67% des 6413 dossiers archivés par BAnQ) et à des titres très variés devant la justice du roi. Mais encore plus surprenant: dans 29% des cas, des femmes différentes, mariées ou non, religieuses ou laïques, noires libres ou esclaves, autochtones libres ou « panisses » agissent de leur propre chef. J’ai aussi découvert qu’il était impossible de faire le même recensement dans le Bailliage, la première juridiction de Montréal, car ses archives, aux graphies difficiles à déchiffrer, ne sont ni numérisées ni décrites. Résultat: le 17e siècle est oublié des chercheur-es comme du grand public de sorte que notre histoire est amputée de sa période fondatrice. Ces constats m’ont convertie à l’histoire de la justice, à la perspective intersectionnelle (qui, dans l’analyse des pouvoirs, prend en compte le genre, l’ethnie, la condition socio-économique et la religion) et pour finir, à l’étude exhaustive du Bailliage de Montréal. J’entends relever les défis de taille qu’impose ma triple conversion dans ce nouveau projet. L'exemple de Montréal servira de «laboratoire» qui permettra d’ériger un modèle d’analyse, lequel servira de socle à un projet collectif d’envergure qui, à terme, analysera le savoir-faire en matières judiciaires des femmes de toute la Nouvelle-France aux 17e-18e siècles. Aussi en 2020-2022, il s’agira de 1) solidifier la base théorique et méthodologique du projet, en particulier par la maitrise de la paléographie grâce à la technologie numérique; 2) procurer des statistiques solides et sur la longue durée en élargissant l’analyse quantitative et qualitative au 17e siècle; 3) assurer le transfert et la littératie des connaissances du passé entre la collectivité des chercheur-e-s, les étudiant-e-s et le grand public. Ainsi le projet contribua à écrire une autre histoire coloniale fondée sur l'écho des voix féminines qui résonne au cœur des verbatim des interrogatoires, témoignages et dépositions. Au fil des pages des procès rendues accessibles et lisibles, nous verrons et "entendrons" les femmes, majoritairement analphabètes, qui n'ont laissé d'autres traces de leur existence que leur parole transcrite à la hâte par un greffier. Grâce à ces précieux documents enfin déchiffrés, nous connaitrons leurs nom, âge, fonction, état et condition et les verrons, nombreuses, et de toutes conditions, défendre leurs droits, se justifier, tenter d'éviter ou alléger les sentences. La réalisation de ce projet éclairera notre quête de solutions aux problèmes sociétaux car les questions de genre, de religion, d'ethnicité et de pouvoir qui la fondent sont au cœur des enjeux actuels du vivre ensemble. Et cela est d'autant plus urgent qu'aujourd'hui le savoir commun du passé occulte des us et coutumes, des aménagements entre prescriptions légales et pratiques, des façons de penser et d'être, des manières d'interagir ensemble et avec l'environnement - bref, tout un monde d'autrefois qui explique les pesanteurs qui pèsent sur notre société et pointe vers d'autres possibilités.