Caroline Trottier-Gascon
Maîtrise en histoire / Fondatrice du Groupe d'action trans de l'UdeM
« On a aidé à changer l’université, mais aussi la société. »
En tant que fondatrice et porte-parole du Groupe d’action trans de l’Université de Montréal, de quoi es-tu particulièrement fière?
On a aidé à changer l’université, mais aussi la société. Je suis fière de tout ce qu’on a fait, mais aussi du soutien reçu de la part du vice-rectorat aux affaires étudiantes et aux études, et de Caroline Reid (adjointe à la vice-rectrice) en particulier. Par exemple, lorsqu’on a diffusé une pétition auprès de 3 000 personnes pour l’obtention de toilettes non genrées sur le campus, c’était aussi une façon d’éduquer les gens sur les enjeux trans et de leur faire entendre nos voix.
Quels changements ont été effectués sur les toilettes du campus?
En mars 2016, on a changé une centaine de toilettes individuelles qui étaient genrées. Ça dit juste « toilettes » maintenant! Les toilettes individuelles ne devraient pas être une question de genre, ce sont juste des toilettes. Si jamais il s’avère qu’il y a quelqu’un qui est présent dans ma cabine de toilette privée pendant que j’y suis aussi, le problème n’est pas que ce soit un homme ou une femme, mais simplement qu’il y a quelqu’un avec moi qui ne devrait pas y être…
En tant que personne trans, as-tu rencontré beaucoup de difficultés durant ton parcours universitaire?
J’ai été assez chanceuse parce que j’ai réussi à obtenir des bourses pour mes projets de recherche. J’avais une certaine sécurité financière, alors si je le voulais, je pouvais juste rester chez moi sans être obligée de sortir. Cela m’a donné moins d’occasions de me faire harceler et m’a permis d’échapper à la vulnérabilité que vivent la majorité des personnes trans. Cela dit, d’après mon expérience, je constate qu’il y a énormément de personnes trans qui réussissent dans les milieux académiques, mais la plupart des autres que je connais vivent dans des conditions précaires et sont confrontées à la discrimination à l’emploi. Peut-être que l' université nous protège?
Dans tous les cas, moi ça m’encourage à utiliser les ressources mises à ma disposition pour en faire bénéficier celles qui en ont besoin, notamment les personnes trans migrantes et les travailleuses du sexe.
As-tu déjà été victime de discrimination?
Ça m’est arrivé, oui. J’ai changé certaines habitudes pour alléger mon quotidien. Par exemple, j’ai arrêté de porter mes lunettes parce que je n’aimais pas le regard des gens. J’ai mis en place des stratégies pour éviter un harcèlement transphobe et misogyne relativement courant. En tant que trans et en tant que femme, c’est comme prendre une double peine.
À ton avis, de quelle façon l’université peut-elle s’y prendre pour faire changer les choses?
L’université a un rôle à jouer dans l’avancée des droits trans et joue déjà un rôle. Gérer les enjeux trans n’est pas quelque chose d’optionnel! La vraie question que toute université devrait se poser est : est-ce qu’on veut maintenir des recherches qui mènent à la violence ou est-ce qu’on veut contribuer à faire baisser le taux de tentatives de suicide dans la communauté trans (NDLR Chaque année, 40 à 50 % de trans tentent de se suicider)?
L’UdeM et le reste des universités dans le monde ont des ressources et une position d’autorité à utiliser au bénéfice des personnes trans.
Comment la recherche peut-elle agir dans ce sens?
En développant des études sur les enjeux trans qui mènent à des notions positives, entre autres. Il faudrait d’abord en finir avec les recherches qui tentent régulièrement d’expliquer pourquoi les personnes trans existent, par exemple. Cela ne mène nulle part et scientifiquement, elles sont souvent très mal menées. Sans parler du fait qu’il n’y a pas assez de diffusion des résultats de recherche dans les universités.
Il y a une forte pression à publier, mais pas à vulgariser ni à faire des recherches qui ont le potentiel d’avoir une pertinence dans une optique d’impact social.
Et toi, à ton niveau, as-tu orienté tes recherches pour faire avancer la cause trans?
En tant qu’historienne médiévale, j’ai d’abord orienté mon mémoire de maîtrise sur la jeunesse à Venise. Je viens tout juste de le déposer d’ailleurs… Je vais bientôt commencer un doctorat à Concordia sur l’histoire des trans de Montréal dans les années 80 et pendant la crise du VIH/sida. J’espère que mon travail permettra d’apporter de nouvelles connaissances.
Quels sont tes prochains projets militants?
Ma priorité, c’est de continuer les luttes pour le changement de mention de sexe et de nom, spécifiquement dans le cas des documents émis par Citoyenneté et Immigration Canada, où il y a un gros flou sur le changement de nom, même si les procédures ont changé pour la mention de sexe. Au niveau provincial, c’est tout simplement impossible d’avoir le changement de nom ou de mention de sexe. Pourtant, quand tu changes de sexe, tu veux aussi changer de nom! Simple question de bon sens que je continue à prioriser. Je milite aussi pour que les personnes trans migrantes puissent jouir des mêmes droits. J’en connais beaucoup qui sont venues au Canada pour échapper à la discrimination. Actuellement, une personne trans qui vient du Mexique sera mieux ici, mais cela ne veut pas dire qu’elle sera « bien ». Il reste encore beaucoup de chemin à faire. C’est d’ailleurs dans cette optique que je vais essayer de travailler sur des vidéos éducatives (style vlogues) sur les enjeux trans.